Antoine est originaire de Thibodaux, près de la Nouvelle-Orléans, et a 29 ans. Il est actuellement Résident.
Il a pour don l’empathie avec lequel il se sent plutôt capable. Antoine peut connaître les émotions d’une ou plusieurs personne(s) de façon plus ou moins complète. Il peut aussi, dans une moindre mesure, influencer ces émotions ou en créer de nouvelles.
Antoine pratique ce sport : Handball à un niveau amateur. Il suit actuellement des études supérieures dans le domaine médical.
Élevé au cœur d’une famille nombreuse, Antoine a toujours eu un sens développé de la communauté. Humaniste jusque dans ses tripes et fervent défenseur du principe de la deuxième chance, il a toujours cru qu’il suffisait de peu de choses pour passer de misérable à honorable, ou l’inverse.
Le grand-père d’Antoine, Onésiphore, était accordéoniste du village. Il animait les veillées avec son ami Gédéon, le violoneux. Trouvant qu’Antoine ferait un bon successeur, il l’initia dès un jeune âge à la musique, et lui apprit encore enfant à jouer l’accordéon. Ce fut à l’âge de 15 ans, lorsqu’Onésiphore devint trop arthritique, qu’il légua d’un même geste à Antoine son instrument et sa responsabilité durant les soirées.
Le désir d’aider les autres, peu importe qu’il les connaisse ou non, est le principal carburant moral d’Antoine. C’est là l’oeuvre de son éducation catholique, au milieu d’une communauté francophone cadienne minoritaire et fragile où la solidarité fait la force. Bien qu’il n’ait jamais vraiment réussit à comprendre le mouvement écologique (qui lui a toujours semblé artificiel), le respect de la nature lui est primordial, car il s’agit du plus beau cadeau que le Ciel ait fait à l’humanité.
Peut-être qu’en fait, le plus grand cadeau pour l’humanité fut le retour des Anges sur terres, bien que ceux-ci aient pris de nouveaux noms, regroupés sous le titre de Gardiens. Il est évident que pour un fervent tel qu’Antoine, les bénis méritent un respect sans faille et tout le support qu’il puisse leur offrir, bien qu’au fond de lui-même, il trouve lâche et déplorable leur exode constant vers les Edens, alors que les prévôtés ont tant besoin d’eux! Il ne se montre pas hautain pour autant envers les autres déviants, ni même envers les humains, persuadé que chaque individu a la capacité de transformer le monde. Les déviants étant simplement plus choyés par la vie que les humains.
Si l’an 2012 fut présenté comme une fin du monde, il ne fallut pas très longtemps à Antoine pour qu’il comprenne qu’il s’agissait en fait d’un renouveau du monde et d’une nouvelle chance qui était offerte à l’humanité, après une purge aveugle et intraitable, de se remettre sur pieds sur des bases de justice, d’égalité et de respect.
Toutefois, il est également borné, ne dérogeant pas de son idée initiale et ne comprenant que difficilement les opinions étrangères. Il se montre aussi, pour cette raison, très indépendant, préférant agir en électron libre que de dépendre de quelqu’un, ou même d’un système. C’est d’ailleurs ce qui le répugne le plus dans son métier : le
système de la santé.
Outre l’accordéon et le handball, auxquels il a malheureusement de moins en moins le temps de consacrer des énergies, Antoine aimait la pêche, passe-temps qui lui est désormais impossible de pratiquer. Comme sa vocation le sous-entend fortement, il aime également prendre soin des gens et pourrait passer sa vie entière à cette activité, que ce soit en réparant des blessures physiques ou en cicatrisant des blessures morales par une écoute intéressée de la vie normale de gens normaux, car à ses yeux tous sont aussi significatifs dans le cercle de la vie.
Sauveur et Thérèse Maillet avaient huit enfants : Della, Théophile, Antoine, Delphine, Pierre-Paul, Jean-Marie, Albertine et Gustave. Entre les bayous et les plantations abandonnées, les enfants jouaient souvent ensemble au baseball. Si les parents pouvaient se permettre une aussi importante famille, c’était qu’ils étaient également le cœur du village et le souffle de la paroisse : propriétaires terriens et marchands locaux, ils n’étaient pas aisés, mais étaient moins pauvres que le reste de la population. C’est probablement ce qui leur a permis d’encourager leur troisième-né à poursuivre des études avancées lorsqu’il en montra l’intérêt.
Au retour d’une rencontre amicale avec l’équipe de handball de Lafayette, Antoine laissa simplement tomber qu’il voulait devenir médecin, sans plus. Après tout, il avait toujours aimé faire le bien autour de lui. Ses parents se serrèrent dès lors la ceinture et Antoine commença également à travailler pour mettre un peu d’argent de côté. Il débuta sa première année de médecine avec une bourse scolaire pour ses bons résultats, mais préféra ne pas la dilapider et vivre le plus modestement possible. Peut-être étaient-ce les conditions d’études, ou le travail à temps partiel, ou son intelligence qui faisait défaut, ses notes furent passables et, malgré toutes ses énergies, il se sortit des semestres de cours théoriques avec un peu moins que la moyenne. Il commença alors ses stages et ses superviseurs furent unanimes : il avait bel et bien trouvé sa voie et il ferait un bon médecin, malgré ses résultats chancelants. Selon eux, il possédait une écoute et une sensibilité qui lui permettait de bien comprendre les patients et poser les bons diagnostiques.
Seulement voilà, l’hiver 2013 s’était abattu rudement et l’hôpital débordait littéralement sous les engelures et accidents causés par le froid. Par soucis d’économies, la troisième génération vint s’abriter sous le toit de Sauveur et Thérèse, mais cela ne suffit pas à épargner Onésiphore Maillet du froid qui l’emporta dans sa tragédie. Le printemps fut ensuite marqué par des trombes de poussières qui s’abattaient sans distinction sur les quartiers de la capitale ou les villages aux alentour avant de se transformer en trombes d’eau.
Les résidences universitaires, miraculeusement épargnées et presque désertées par les étudiants, devinrent le refuge des sinistrés. Les internes de l’hôpital, tout comme les externes dont Antoine faisait partie, se voyaient attribuer de plus en plus de responsabilités, étaient même appelés à réagir sur le terrain et étaient devenus, en quelque sorte, les premiers répondants. Les soirs, pour réchauffer les cœurs et leur insuffler un peu d’espoir, il s’installait à la cuisine de la résidence et jouait des airs joyeux sur son accordéon. Parfois des gens chantaient ou dansaient, mais le plus souvent, on en profitait simplement pour discuter, le cœur un peu plus léger. Et Antoine s’endormait parfois sur son instrument, épuisé.
La vie continua ainsi alors que l’été caniculaire amenait son lot d’insolations et de maladies tropicales, puis l’automne amena de nouveau la fraîcheur et la Louisiane tenta de reconstruire sa capitale, comme après l’Ouragan qui avait frappé l’état, une décennie auparavant. C’est entre deux battements de cœur de cette ville éventrée que le choc fut ressenti : le Big One venait d’emporter avec lui la côte Ouest en entier, affirmait les rumeurs.
Noël fut bien particulier cette année-là. Tout le village vivait déjà dans l’antique demeure familiale, la moins touchée de Thibodaux et rafistolée d’un effort commun. On y était à l’étroit, on y manquait de tout, mais ça n’empêchait pas les croyants de fêter. Peu après le Nouvel An, Antoine retourna dans la métropole pour redonner son coup de main et participer à la reconstruction. Sauf qu’il semblait que pour chaque maison que la Nouvelle-Orléans rendait habitable, une centrale explosait, un incendie se déclarait, un pétrolier s’échouait. Peu importe, la population était résignée.
Si l’Université n’avait pas été désormais fermée, c’est ce printemps-là qu’Antoine aurait terminé son externat, et à l’automne il aurait débuté l’internat. Sauf que, quand plus rien ne fonctionne, à quoi bon se reporter à de telles balises artificielles. Il devenait un meilleur soigneur jour après jour, diplôme à la main ou non. Le problème, c’était le matériel : comment soignée sans médicaments et dans des conditions insalubres, avec l’insomnie qui le rongeait autant que les cernes ses joues? Sans moyen de communication, ils n’avaient plus eu de nouvelles de Della et Théophile, installés avec leur famille à Boston et Providence, depuis des lustres.
Il vivait en commune avec d’autres médecins, et se relayaient aux hôpitaux de fortune. Au deuxième, ils abritaient des volontaires, sous des bâches qui servaient de toit. Puis un matin, il ne savait plus quel mois ils étaient, ni même quelle année, ce fut les parents d’Antoine qui frappèrent à la porte marquée d’une croix rouge, accompagnés de Delphine et Gustave. Il ne comprit pas ce qu’ils disaient. Ils parlaient d’un monstre qui était sorti du presbytère pour s’attaquer à Albertine. Pierre et Jean qui, en tentant de la défendre se seraient faits assassinés avant qu’elle-même ne périsse. On les prit pour fous, mais Antoine voyait bien qu’ils étaient sincères et il leur trouva un taudis pour s’installer : l’extérieur était trop dangereux. Il retourna habiter avec eux, alors que de telles histoires se multipliaient autours de la ville.
En réponse, le prévôt fit construire une muraille autour de la ville. Puis vinrent les gardiens, et si les membres restants de la famille Maillet virent en eux des Anges, peu de gens partagèrent leur opinion. Ils n’étaient pas pris au sérieux, et pourtant qu’est-ce qui pouvait arriver de pire en suivant leur précepte? Sans forcément devenir un membre des Sauveurs du monde pour autant, évidemment. Juste vivre mieux. Ils disparurent comme ils étaient apparus, laissant derrière leur passage les Bénis, ces humains touchés par leur grâce divine et permettant au reste de l’humanité de trouver l’espoir. Ce fut à ce moment qu’Antoine rencontra également pour la première fois d’autres gens de sa race, des déviants. Cette révélation apporta son lot de question, comme il comprenait enfin qui il était.
Quand la grande sensibilité d’un enfant sociable et affectueux devient-elle une déviation? Il semblait parfois à Antoine que ce don avait toujours fait parti de lui, bien qu’il ne s’en soit pas aperçu avant sa crise d’adolescence. Il avait toujours pu lire les sentiments des gens avec une précision inouïe, mais il ne connaissait personne d’autre qui puisse les reconnaître sans regarder la personne. C’était comme un sixième sens, souvent plus accaparent encore que les autres. Avec le temps, il apprit à le concentrer sur une seule personne, et développa sa capacité à lire les émotions des gens. Ce n’est qu’à l’université, à force de passer de longues heures d’études à la bibliothèque ou dans sa chambre des résidences, qu’il apprit à se fermer à ce sixième sens, tout en restant conscient de ses signaux, un peu comme le nez se sature de molécules olfactives ou comme on n’entend plus une musique que comme un bruit de fond.
L’hôpital commençait à ressembler de nouveau à un hôpital, il était en conditions suffisamment bonnes pour redevenir fonctionnel. Antoine continuait d’y travailler, comme stagiaire ou aide-médecin. Au cours des dernières années, il avait réussi à reprendre du repos et à faire ses deuils. En 2020, il avait même convaincu ses parents de laisser l’appartement et de partir au Texas, où on disait qu’un Eden avait été fondé. Jamais un autre Eden ne serait probablement aussi proche d’ici, leur disait-il. Lui resterait, il y avait encore beaucoup à faire pour améliorer le sort d’une ville traumatisée. Ce fut difficile de les convaincre, mais ils finirent par prendre une caravane avec leurs cadets, après avoir été informés qu’un béni serait du voyage et s’y rendait aussi, à cet Eden. Il choisit de rester, d’abord pour terminer ce qui lui servait de résidence, selon un accord qu’il avait passé avec le personnel de l’hôpital, mais surtout parce qu’ici, il pouvait faire plus de bien que dans les Edens où, entendait-on dire, la vie était beaucoup plus facile.
C’est à ce moment qu’il emménagea dans un appartement deux pièces à proximité d’une porte dans la muraille, donnant sur les faubourgs et s’organisa pour offrir l’hospitalité aux pauvres banlieusards lors des alertes. Au moins, dans ce rythme de vie qu’il avait choisit, il se sentait utile, faisant de la prévôté un endroit un peu meilleur que ce que les corrompus dirigeant s’efforçaient de faire. Sauf que voilà, il avait beau se serrer la ceinture et vivre aussi humblement que possible, il était à court d’argent. Et il savait que son héritage familial, son accordéon, valait suffisamment pour renflouer ses poches un petit moment. Le dilemme était immense, et il sacrifia finalement son fidèle instrument, qui l’avait aidé à traverser toutes ces épreuves?
Seulement voilà que les rumeurs de la dernière caravane trahissaient une augmentation de la population de bénis à la Nouvelle-Orléans, et entre les taudis, on murmurait au miracle : un Eden s’installerait-il réellement à la Nouvelle-Orléans? Si les racontars étaient vrais, Antoine serait certes prêt à mettre la main à la pâte pour réaliser sa construction, mais ensuite, une fois l’Eden bien établit, que ferait-il? Il songeait déjà se rendre dans une prévôté démunie d’Eden pour y bleuir un peu aussi le ciel.