Antoine s'éclaircit la voix et réalisa, un instant plus tard, que ce qu'il était en train de faire semblerait à tout le moins louche pour quiconque ne se trouvait pas dans sa tête. Et ça, c'était beaucoup de monde. Parlant de qui se trouvait dans sa tête, la personne invisible qui suivait Maggie et Helen était toujours là et était désormais agacée. Était-ce l'apparition d'Antoine qui l'agaçait? Peut-être était-ce un espion qui en avait toujours contre Maggie. Ou un messager, ou qu'en savait-il? En tout cas, ça ne semblait pas très amical.

-Excusez-moi. Vous devez être Maggie, et vous Helen? Je... travaille à l'hôpital et je... J'ai appris par un ami commun ce qui était arrivé à votre mari.

Il sortit son badge pour bien montrer qu'il ne bluffait pas et s'adressa davantage à Helen.

-Vous croyez que nous pourrions nous entretenir ensemble? Je suis venu offrir mon soutien. Ces situations sont toujours éprouvantes, évidemment.

Bien qu'il ait gagné de l'assurance au fur et à mesure que les mots s'enlignaient entre sa langue et son palais, l'apprenti-médecin ne savait plus vraiment quoi dire ni quoi faire. Il chercha du soutien dans les yeux de Helen.

Sa collègue sous le bras, Helen tentait tant bien que mal de faire sortir Maggie du bâtiment. Le poids du chagrin était insoupçonnable. Elles n'avaient pas fait un pas dehors qu'un jeune homme leur sauta dessus. Ils connaissaient leur nom, ce qui ajouta à la surprise d'Helen. Sa mission de la journée n'était-elle donc pas suffisante ? Helen fit bonne figure et gratifia le séduisant jeune homme d'un grand sourire, alors qu'elle se replaça une mèche derrière l'oreille droite. Occupée, mais sexy. Toujours.

Elle regarda l'homme sortir son badge puis le ranger sans trop comprendre ce qu'il lui voulait. Maggie tenait à peine debout. Si Férix avait eu quelques dizaines de centimètres de plus elle lui aurait collé sur les bras. Elle alla asseoir sa collègue en lui demandant d'attendre quelques instants le temps qu'elle réponde aux questions du jeune homme.

"Votre soutien...? Mais... vous ne connaissez pas Maggie, il me semble ?"

Helen était souriante mais circonspecte. Elle ne comprenait pas bien la motivation du jeune homme et même si une aide supplémentaire était la bienvenue, elle voulait savoir en quoi il pensait pouvoir aider la pauvre Maggie.

"Je vous écoute" dit-elle, tout sourire.

La demoiselle Helen semblait circonspecte quant à l'apparition d'Antoine. Voire, elle trouvait peut-être qu'il les agressait. Elle abandonna la pauvre Maggie sur son banc et vint confronter le Cajun, non sans replacer esthétiquement une boucle de ses cheveux. Elle lui faisait du charme ou tentait de l'intimider, là? Antoine leva un sourcil mi-amusé et lui répondit.

-Nous nous connaissons indirectement, puisque nous avons le docteur Mitch LeNoble en amitié commune.

Il baissa le ton et s'assura de murmurer pour n'être entendu que d'Helen.

-Il se trouve que nous nous trouvions tous deux à proximité lorsque Georges s'est fait attaqué, mais nous sommes arrivés trop tard. Par ailleurs, soyez discrète, il n'y a pas que nous trois ici.

Antoine ne savait pas trop pourquoi il le lui avait dit. Un instinct, probablement. Et puis, la femme ne semblait pas vouloir de mal à Maggie ni à lui-même. En fait, elle tentait de protéger sa collègue, c'était bien cela?

Reprenant un ton normal, l'empathe s'adressa à Maggie par-dessus l'épaule d'Helen.

-Au fait, je me nomme Antoine.

Postée devant le jeune homme, Helen était en posture d'écoute, se demandant bien ce qu'il allait pouvoir lui proposer voire lui demander. L'entraide était devenue assez rare ces derniers temps et Helen devait bien avouer qu'elle se sentait bien seule lorsque la générosité et l'altruisme de ses concitoyens étaient sollicités. Allait-elle être surprise par le jeune homme ?

Lorsqu'il mentionna le Docteur LeNoble, Helen pivota la tête de côté comme pour chercher derrière le jeune homme une image qui pourrait lui rappeler cette personne dont le nom ne lui disait rien. Inconnu au bataillon. Helen n'en perdit pas moins son sourire.

Antoine se mit soudain à susurrer. Helen, par réflexe, se rapprocha de lui afin de ne pas perdre une miette de ce qu'il avait à lui annoncer.

Elle reprit sur le même ton que son interlocuteur: "Vous avez vu ce qu'il s'est passé ? Ceux qui ont fait ça ? Il a été brûlé, parait-il ?"

Elle ne souleva pas tout de suite la dernière remarque du jeune homme, complètement replongée dans l'horreur de la situation. Lorsque les mots d'Antoine lui parvinrent enfin, elle fit immédiatement le lien avec Férix. Elle se tourna vers lui, qui se tenait toujours derrière eux, silencieux. Pouvait-il le voir ? Elle n'était donc pas tout à fait folle, Dieu merci !

"Vous aussi vous voyez...?" commença t-elle avant d'avaler la fin de sa phrase. S'il voyait réellement Ferix, il n'aurait sûrement pas parlé aussi librement et aurait demander des comptes sur cette entité volante tout droit sortie d'un conte fantaisiste.

Le jeune homme en avant profité pour se présenter. Il est charmant, très charmant se dit Helen tout en cherchant de la main son chapelet.

Antoine répondit d'un simple hochement de tête affirmatif à la question qu'Helen lui avait murmurée.  Il se demandait si son interrogation tenait simplement de la curiosité objective ou encore si c'était cette tendance maladive et glauque à vouloir écornifler quand un pair subissait un revers de la vie.  Décidant de ne pas fouiller les sentiments d'Helen à ce sujet, Antoine éluda aussi la question suivante, aussi étrange qu'elle fut.  Il ne put s'empêcher de froncer des sourcils surpris, par contre.

La question était sans équivoque.  La présence que lui ressentait, elle la voyait.  Quel espèce de créature étrange pouvait ainsi se cacher à la vue de certaines personnes seulement.  Et puis... elle était comme surprise qu'il ait su qu'il y avait autre chose.  Comme si elle savait qu'elle n'était pas supposé le voir, ni personne d'autre.

Croyant qu'elle s'apprêtait à lui serrer la main, Antoine réalisa plutôt qu'Helen avait sorti son chapelet.  Pieuse, qui plus est.  Une qualité de plus en plus rare sur cette planète déchirée.

-Souhaiteriez-vous m'accompagner pour un chocolat chaud?  La recette de Mamie est splendide pour remonter le moral.

Antoine était devenu bien silencieux tout d'un coup. Etait-ce la présence de Férix qui le redait si timide soudainement ? Elle jeta un oeil vers le diablotin qui n'était pas très bavard non plus depuis quelques minutes avant de revenir vers Antoine. Il avait une façon de la regarder qui la mettait assez mal à l'aise: elle sentait qu'il était en train de réfléchir, qu'il cogitait à quelque chose la concernant. Et cela ne plaisait pas spécialement à Helen. Elle resserra son étreinte sur son chapelet qu'elle avait mis dans sa poche.

Le jeune homme lui proposa soudainement d'aller boire quelque chose de chaud. Helen ouvrit des yeux ronds.

"Je crois que Maggie a besoin de moi et... je ne vais pas pouvoir la laisser avant quelques heures, le temps que je sois sûre qu'elle va bien et que ses proches s'occupent d'elle" dit-elle dans une moue désolée.

"Mais... Vous souhaitiez me dire quelque chose ?" demanda Helen afin qu'Antoine dévoile enfin ce qu'il avait derrière la tête.

Manifestement, il y avait eu confusion. Helen se méprenait sur les propos d'Antoine, qui n'avait pas songé un instant à l'inviter, elle, prendre une tasse, mais bel et bien à les inviter, elles deux. La pieuse croyait-elle le jeune homme aussi insensible et surtout... elle le draguait! Il ne rêvait pas! Alors que son amie était juste derrière elle, endeuillée.

-C'était à elle que j'offrais d'abord un remontant, vous savez. Vous êtes la bienvenue également, évidemment. répondit-il avec un sourire maladroit. Il fit semblant de ne pas entendre la dernière question

Il se dirigea vers Maggie et s'agenouilla devant elle pour lui parler.

-Ce n'est pas l'endroit le plus réjouissant ici. Mon offre tient toujours, mai si vous préférez un peu de temps seul avec Helen, je comprendrai. Voici mon adresse.

*Non mais quelle cruche !* se dit Helen tout en se mordillant l'intérieur de la joue comme pour se punir elle même s'avoir trop parlé. Elle n'avait pas les codes du relationnel homme-femme et sa bonhomie naturelle étaient ses seuls alliés. Visiblement, elle la trompait.

Elle laissa Antoine passer dans son dos pour rejoindre Maggie. Elle se retourna lentement comme pour ne pas déranger le jeune homme dans sa tentative d'approche. Elle le regarda inviter son amie à le rejoindre et comme pour soutenir la réponse de Maggie, quelle qu'elle soit, elle se placa derrière elle, la main gauche sur son épaule.

Son sourire en facade, elle attendait de voir ce que Maggie était apte à répondre en ce moment difficile pour elle. Elle ne disait plus rien et égrainait son chapelet à l'intérieur de sa poche.

Il y eut un bref instant de flottement alors qu'Antoine parlait et Helen s'installait : Maggie s'était assoupie. La lassitude, le contrecoup : elle avait été posée là, et finalement, n'avait rien trouvé de mieux à faire que de piquer du nez, sans doute pour fuir. Antoine le percevait d'ailleurs très bien, alors qu'elle ouvrait les yeux : la réalité tenait plus pour elle du cauchemar.

"Mais... Qui êtes-vous ? M'inviter ?"

Elle avait l'air surprise de cette proposition incongrue, mais ses sentiments finirent par évoluer doucement. Elle ne se sentait pas en état de lutter, ou d'avoir d'autres projets, et au point où elle en était, elle n'avait qu'à se laisser porter par le courant. Elle opina donc du chef.

Malgré l'aspect dramatique de la scène, Antoine ne put s'empêcher de sourire en observant Maggie. Son assoupissement, puis sa surprise confuse étaient mignonnes. On aurait dit une gamine qui attendait dans une salle d'attente, ou quelque chose dans ce genre là. L'empathe tenta de ne pas paraître trop étonné de la réaction de la veuve. Elle semblait croire qu'il l'invitait dans le même sens que Helen un fraction de moment auparavant. Était-il si charmant ou alors les demoiselles trouvaient-ils simplement qu'avec son accent un peu décalé il n'avait pas de morale?

Peu importe. L'heure n'était pas à ses grands questionnement moraux. Quoique s'il avait à choisir entre les deux, il opterait certainement pour... Non, non, non! Assez! Il avait beau être un homme, les instincts ne devaient pas toujours prendre le dessus!

-Une invitation amicale, évidemment. Je suis Antoine Maillet dit-il avec l'impression de répéter infiniment cette information, aujourd'hui. Je travaille à l'hôpital et je connais votre mari par l'intermédiaire d'un ami commun.

-Si vous préférez, je connais un salon de thé bien paisible, pas très loin d'ici.

Après tout, quel genre de femme accepterait aveuglément une invitation chez un inconnu.